
BACON, c'est très anglais tout ça. En tranche, le matin avec des oeufs brouillés. Un thé et quelques toasts.
Oui mais ce
Bacon là se prénommait Francis et était Irlandais (1909-1992).
J'ai visité au
Tate Britain une exposition rétrospective dédiée à son travail. Je crois qu'il suffit de regarder l'atelier d'un artiste pour comprendre son univers; comme l'envers d'un décor, les toiles ne sont plus qu'une devanture. L'atelier de Bacon était un vrai capharnaüm, de vieilles palettes, des pinceaux, de la peinture sur les tables, jonchant le sol, partout...On imagine alors facilement Bacon tellement absorbé par son travail, que ce qui l'entourait n'avait plus aucune importance.
On connait surtout les triptyques du peintre, les distorsions qu'il impose aux corps et aux visages, ces carcasses rouges violacées qui piquent la rétine. Face aux toiles de Bacon, que je ne reconnais pas quand je regarde une photo (manquent le côté impressionnant du grand format et les effets de matière) j'ai eu le sentiment qu'il avait assimilé tout ce que l'histoire de l'art avait pu produire, l'avait réinterprété en y ajoutant son vécu et recraché sur la toile.
Inspiré par Velàzquez, il peint une série de portraits du pape Innocent X dont le visage hurle on ne sait quoi (on pense alors au Cri de Munch) et dont le corps semble enfermé derrière des barreaux que seule la peinture rend visible, ou bien les membres se dissolvent sous des coups de pinceaux violent. Empâtements, transparence, rendre l'effet d'un clair obscur simplement en superposant des aplats de couleur...La diversité des techniques présentes sur une seule toile est impressionnante.
Inspiré par Van Gogh, il réinterprète une de ses toiles en utilisant des couleurs pures. Expressionniste à tendance fauviste en somme, s'il faut tenter de mettre des mots sur une oeuvre.
Les surréalistes sont passés par là, et Bacon aussi développe son propre langage symbolique et onirique. On remarque les motifs récurrents de la flèche (qui n'indique jamais aucune direction), de l'ampoule, ou bien de l'interrupteur (peut-être une matérialisation de l'inspiration ou des idées de génie?), de la chaise, du parapluie, du miroir...
C'est aussi un espace confiné qui se dessine à l'intérieur de la toile. Des lignes géométriques semblent délimiter des boites en verres qui renferment des Hommes, des animaux ou des paysages. Ce cercle là semble être une arène où Bacon torturé sur sa chaise attend qu'on lâche les lions; ou bien est-ce là qu'un taureau qui tourne indéfiniment en rond joue sa propre corrida. Un espace clos, comme un appartement, une femme étendue sur un lit, un homme assis sur un tabouret, comme un spot qui met en lumière un quotidien qui semble angoissant d'un coup...
Ajoutez une pincée de cubisme. Bacon multiplie les angles de vue, et les visages semblent taillés à la hache, comme des masques hideux posés sur le visage de ceux qu'il fréquentait. De multiples portraits de son ami Dyer, qui fût bien plus que ça. Car Bacon c'est aussi le scandale d'une homosexualité qui s'exhibe sur la toile. Des nus masculins alanguis dans cette cage de verre au milieu d'un néant obscur.
Les corps s'effacent, pourraient se confondre avec les carcasses d'animaux qu'il expose et crucifie. Les membres fondent, dégoulinent et deviennent une pâte rose informe. Le modelé de la chair est à la fois doux et violent, très sculptural, inachevé mais abouti en même temps.
Bacon c'est les contrastes. La couleur et la lumière, la particulier et l'universel, la ligne nette et le flou artistique. Les triptyques inversent l'ordre des choses, le profane devient sacré, le sacré est démystifié.
« I would like my pictures to look as if human being had passed between them, like a snail, leaving a trail of the human presence and memory trace of past events, as the snail leaves its slime. » (Bacon)